Graceland, l’album culte de Paul Simon, le songwriter new-yorkais blanc parti à la rencontre des vedettes noires sud-africaines, a fêté en 2011 son 25ᵉ anniversaire et a été réédité en 2012 avec de nombreux bonus.
Il me manquait un élément déclencheur pour vous faire partager mon intérêt pour ce disque. Remontons en 1976.
J’ai passé six semaines en Afrique du Sud. À 12 ans, on n’a pas encore de conscience politique, mais mes souvenirs sont ravivés en écoutant cet album :
- Le survol de la banlieue noire Soweto (où venaient d’avoir lieu les émeutes deux mois avant) ;
- le moment où j’ai « joué à la guerre », jeu stoppé par mon parrain (« tu veux créer d’autres émeutes ou quoi ? ») ;
- le centre-ville de Johannesbourg, déjà très dangereux à l’époque ;
- les danses traditionnelles pour touristes dans le Swaziland…
Et, six ans plus tard, mon travail de fin de rhéto sur l’Apartheid, la confrontation des points de vue (les fameux dossiers orientés de l’Ambassade d’Afrique du Sud : murs blancs à l’extérieur, âmes blanches à l’intérieur…), ma question sur le sujet reprise à l’antenne par… Anne-Marie Lizin lors d’une émission de la RTBF en 1982 sur la ségrégation raciale.
Humaniste ? Non, opportuniste
Qu’avait à faire Paul Simon de la conscience politique sud-africaine noire en 1986 ? Rien. En légère perte de vitesse au niveau commercial à cette époque, Paul Simon n’avait rien à perdre.
C’est avec humilité qu’il a voulu enregistrer avec le groupe vocal Ladysmith Black Mambazo ou le guitariste Ray Phiri, pour ne citer qu’eux.
Cet album a fait l’objet d’intenses polémiques. En effet, Paul Simon avait, quelques années plus tôt, enfreint l’embargo décrété par les Nations Unies. Le pays, sous le joug de l’Apartheid, devait être complètement isolé, avec l’accord de l’African National Congress (ANC).
Paul Simon a défendu son point de vue d’artiste. Son argument, il l’a trouvé dans la bouche même de ses musiciens noirs : en tant qu’artistes, de tels groupes étaient eux-mêmes prisonniers de l’embargo culturel.
Une double peine. Il fallait les voir, arpenter les rues de New York en 1986, tout étonnés de ne pas avoir à demander un PASS qui limitait les déplacements des Noirs dans leur propre pays. Le chanteur s’est depuis réconcilié avec les mouvements noirs.
Parlons plutôt musique
Cet album foisonne d’excellents morceaux (The Boy in a Bubble, Under African Skies, I Know what I Know…). Vous connaissez You Can Call Me Al.
Paul Simon en est l’auteur-compositeur selon Wikipédia, mais ce sont bien les musiciens sud-africains qui sont à l’origine de la musique. Toutefois, cette vidéo et même ce morceau ne rendent pas réellement compte de la fusion blanche/noire, des collages musicaux, des paroles faussement désabusées de Simon couplées aux voix magiques de Ladysmith Black Mambazo.
Sans oublier la maestria des musicos, ni le génie des ingénieurs du son. Il a en effet fallu de nombreuses heures de montage pour arriver à un tel résultat.
(Re)découvrez les magnifiques et plus traditionnels Homeless et Diamond On the Soles Of Her Shoes, construit en deux temps.
Paul Simon, conscience politique ?
Non, vous trouverez très peu de messages politiques dans cet album (pas dans Graceland par exemple, quoique en cherchant bien…).
Non, à nouveau, il est un ‘simple’ musicien, artiste-citoyen du monde, sans doute opportuniste, mais surtout avant-gardiste, car il a su révéler les pépites musicales à l’autre bout de son monde. Il a été, avec Peter Gabriel, un des précurseurs de la World Music.
Par ailleurs, il n’en est pas resté là puisqu’il a, dans la foulée de l’enregistrement de l’album, invité Hugh Masekala et Myriam Makeba (deux artistes exilés depuis des années) à se produire avec lui sur scène.
Sur cet album, Paul Simon a su faire preuve d’universalité, dépassant les barrières et s’affranchissant de la politique.
Pour lui, une noire valait bien deux blanches…
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