Un petit appartement dans une rue paisible de La Louvière. Je sonne. Une dame âgée vient m’ouvrir. Elle y vit avec sa sœur jumelle. Tout est propre et bien rangé. Il fait sombre. Le café ne va pas tarder à couler dans les tasses. Aucune musique, aucun bruit. Je ne viens pas pour visiter l’appartement, mais pour interviewer Françoise Lesire (née Gaudy en 1927).
Le sujet : sa vie de disquaire durant les années d’or de la musique. Presque un demi-siècle derrière le comptoir à vendre de la musique profane et classique avec son mari. Françoise a tout vu, tout vendu et tout entendu. Il fait toujours aussi calme dans l’appartement, mais des musiques résonnent alors dans sa tête et leurs anecdotes creusent leur sillon.
La dynastie Lesire : un petit royaume dans la musique
Rarement, une famille belge aura autant baigné dans la musique. En effet, Alexandre (René Calixte Alexandre Lesire, 1877-1960), le père de Joseph Lesire (1925-2007), était musicien et professeur de musique. En 1914, il achète deux maisons ouvrières qu’il fusionne pour créer un gigantesque magasin d’instruments de musique, des pianos notamment.
La maison Lesire naît en 1918, pour le plus grand bonheur des musiciens de la région de La Louvière. Alexandre connaît une certaine gloire à l’époque, puisqu’il est non seulement l’auteur d’une « Messe », mais aussi de la musique des Loups.
Son fils, Joseph, reprend les affaires en 1948 après ses humanités. Il rencontre sa future femme la même année et l’épouse quelques mois plus tard. Malheureusement, les beaux-parents doivent quitter la maison Lesire. Joseph et son épouse se retrouvent seuls aux commandes du magasin.
La musique à tous les âges et à tous les étages
Depuis toujours, la famille Lesire baigne dans la musique. Joseph est le frère cadet de six enfants. Richard, un des frères, a étudié le violoncelle et a voulu en faire son métier. Le paternel a refusé : ce fiston a donc fait des études et est devenu ingénieur agronome.
Une autre sœur (la quatrième de la fratrie), Francine, a obtenu un premier prix d’orgue à Bruxelles. Pendant la guerre, elle allait à vélo suivre des cours de musique dans la capitale. La musique dans les veines jusqu’aux pieds qui font danser. Elle aura six enfants.
La sœur de Françoise, Monique, présente, mais discrète lors de l’interview, fut pianiste et épousa un médecin. Françoise Lesire, quant à elle, suivit une formation d’assistante en pharmacie. Elle a toujours aimé le contact avec les gens. Très précieux pour le magasin.
Joseph, son mari, a tenu, comme un refrain populaire, à convertir leurs quatre enfants au solfège. Les petits-enfants ont emboîté le pas et ont quasi tous suivi la passion familiale. Dont Nicolas Lesire, surtout fan de bande dessinée. C’est grâce à lui que cette interview a vu le jour.
Fifty fifties
Mais remontons aux origines du magasin de disques Lesire. Françoise : « Nous avons dans un premier temps continué la vente d’instruments, de partitions, de pianos et de violons initiée par mon beau-père.
Mon mari a alors voulu démarrer la vente de disques. C’était le début des bonnes années : la naissance des 45T, la ferveur populaire pour les premiers disques de rock’n’roll.
Les catalogues des maisons de disques regorgeaient de vedettes de la chanson. Quand nous avons démarré cette activité, les directeurs des firmes de disques sont venus se présenter à la maison. Mon beau-père, qui passait de temps à autre dans le magasin, fut très impressionné. »
Le Monopoly du disque
Sur une dizaine d’années, Joseph Lesire a acheté pas moins de quatre magasins : un à Mons, un autre à Jolimont (à trois kilomètres de la maison- mère de La Louvière), à Marchienne et enfin à Bruxelles, place Saint-Josse. Soit cinq magasins au total, qu’il fallait visiter et alimenter en disques.
« Chaque fois je disais à mon mari : si tu reprends un autre magasin, je divorce ! »
Françoise se souvient : « Mon mari avait une mémoire incroyable : il pouvait dire : « madame, ce disque s’appelle untel, je ne l’ai pas dans ce magasin, mais demain, j’irai le chercher dans notre magasin de Bruxelles. »
Le disquaire de l’époque, un vrai Shazam humain !
Le magasin au numéro 52 de la rue Sylvain Guyaux n’existe plus. Il faut s’imaginer la taille conséquente de ce temple païen de la musique pour pouvoir accueillir le matériel ‘classique’ comme les instruments puis la collection de disques de musique populaire et classique. Sans oublier tous les accessoires de l’époque pour classer, nettoyer et entretenir ces supports précieux donc fragiles.
Françoise : « cinq ans avant la reprise du magasin, j’ai senti que la banque située en bas de la rue se sentait à l’étroit pour accueillir sa clientèle, qui devait souvent faire la file dehors. Mon mari a exigé deux ans de délai, le temps de terminer proprement nos activités. La CGER (devenue BNP Paribas Fortis) s’est alors installée définitivement en 1993, voici donc presque 25 ans. ».
À suivre !
Merci à Françoise Lesire pour l’accueil, sa gentillesse et ses souvenirs, Nicolas Lesire (contacts, prêt des photos) et feu Olivier Rouge (relecture).
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